Édito du Président MBF Ludovic Lechner
En tant que président de la Mountain Bikers Foundation, je souhaite réagir à une actualité inquiétante : plusieurs pièges ont été découverts ces dernières semaines dans les forêts alsaciennes, tendus volontairement pour blesser des individus, potentiellement des vététistes. Ces actes ne sont pas des faits isolés. Ils traduisent la persistance de tensions entre usagers de la nature, alimentée par des représentations erronées et des décisions publiques parfois mal fondées.
Il est donc urgent de rappeler que le droit légitime des vététistes à circuler dans les espaces naturels est garanti, sous réserve du respect des règles (code forestier, code de l’environnement, bons usages pour protéger la faune et la flore) et de la saine cohabitation avec les autres usagers. Ce droit ne doit plus être nié, minoré, disputé voire entravé par des actes de violence ou d’intimidation.
Il ne doit plus être affaibli par le « bon sens populaire » pétri de préjugés qui alimentent les conflits d’usages jusqu’à la pose de piège.

Selon l’article L.361-1 du Code l’environnement, la circulation en forêt est autorisée sauf interdiction explicite motivée.
Préjugés et stéréotypes
Quand l’ignorance devient hostilité
Un préjugé est une opinion préconçue, souvent négative, qui précède toute expérience réelle. Dans le cas du VTT, certains élus, riverains ou promeneurs pensent que les vététistes sont systématiquement bruyants, irrespectueux des milieux ou destructeurs des sentiers. Ces idées, non fondées sur des faits, nourrissent une hostilité injustifiée.
Exemple : croire que tout vététiste roule à vive allure en mettant en danger les marcheurs. Alors que la majorité adapte sa vitesse et respecte les autres usagers.
La caricature du vététiste “invasif”
Les stéréotypes simplifient à l’extrême la réalité. Le vététiste est parfois perçu comme un “envahisseur” de la forêt, venu troubler la tranquillité des lieux. Cette image caricaturale ignore la diversité des pratiquants : familles, seniors, sportifs du dimanche ou passionnés engagés dans la préservation des sentiers.
Exemple : assimiler tous les vététistes à des compétiteurs agressifs, alors que beaucoup pratiquent le VTT comme un loisir contemplatif.
Discriminations : quand l’image mène à l’exclusion

La discrimination naît lorsque ces représentations conduisent à des actes concrets d’exclusion ou de danger. Les pièges posés en forêt sont une forme extrême de discrimination. Ils visent à exclure physiquement les vététistes d’un espace partagé, en mettant leur intégrité en péril.
Mais cette discrimination peut aussi être institutionnelle. Les pouvoirs publics, parfois sous pression d’autres usages ou par méconnaissance, appliquent des restrictions mal fondées au VTT, interdisant la circulation sur certains sentiers au bénéfice exclusif d’autres usagers, sans justification écologique ou sécuritaire solide. Cela revient à nier un droit légitime, et à renforcer les tensions entre pratiquants en alimentant la remise en question du VTT par d’autres usages ou d’autres tiers.
Exemple : interdire le VTT sur un chemin forestier au motif qu’il serait “trop fréquenté”. Alors qu’aucune étude d’impact ne montre l’impossibilité d’une cohabitation avec les randonneurs.
Biais cognitifs : des jugements faussés par nos perceptions
Les biais cognitifs sont des raccourcis mentaux qui altèrent notre jugement et alimentent un “bon sens populaire” source de conflits d’usages. Ils sont souvent invisibles, mais très puissants.
Voici quelques biais qui affectent la perception du VTT en milieu naturel, la liste méritant d’être approfondie :
- Le biais de confirmation pousse à ne retenir que les informations qui confirment nos croyances. Un riverain hostile au VTT ne remarque que les vététistes bruyants, et ignore ceux qui roulent discrètement. Ce biais renforce les convictions négatives sans laisser place à la nuance.
- Le biais d’ancrage fait que notre jugement est influencé par une première impression. Si un promeneur croise un vététiste imprudent une fois, il risque de considérer tous les vététistes comme dangereux, même si cette rencontre est exceptionnelle.
- Le biais de disponibilité nous amène à juger une situation en fonction des exemples les plus récents ou marquants. Un accident médiatisé impliquant un VTT peut suffire à faire croire que la pratique est risquée partout, même si les statistiques montrent le contraire.
- Le biais de représentativité consiste à assimiler un individu à un groupe entier. Un vététiste en tenue de compétition avec protections, masque et casque intégral, est vu comme représentatif de tous les pratiquants, alors qu’il ne reflète qu’une partie.
- L’effet de halo fait qu’une caractéristique influence notre jugement global. Un vététiste souriant est perçu comme respectueux, même sans preuve ; à l’inverse, un vététiste boueux est jugé négligent, simplement à cause de son apparence.
- Le biais de statu quo traduit une préférence pour les habitudes établies. Certains décideurs refusent le VTT car “la forêt a toujours été réservée à la marche”, sans considérer l’évolution des usages et des pratiques.
- Le biais d’attribution nous pousse à attribuer les comportements des autres à leur personnalité plutôt qu’au contexte. Si un vététiste roule vite, on pense qu’il est imprudent, sans envisager qu’il descend une pente technique ou qu’il maîtrise parfaitement sa trajectoire.
- Le biais de groupe favorise son propre groupe et rejette les autres. Les chasseurs ou les forestiers peuvent considérer leur pratique comme plus “légitime” que celle des vététistes, simplement parce qu’elle est plus ancienne, plus répandue localement ou qu’elle a un intérêt marchand.
- L’effet de faux consensus nous fait croire que nos opinions sont largement partagées. Un élu peut penser que “tout le monde est contre le VTT”, alors que les enquêtes montrent une majorité favorable à la cohabitation.
- Le biais de négativité donne plus de poids aux événements négatifs qu’aux positifs. Un conflit ponctuel entre usagers efface des années de cohabitation pacifique, et devient le seul repère mémorisé.

Conclusion : il faut faire reconnaître le droit à circuler pour apaiser les tensions
Pour éviter que de tels actes ne se reproduisent, il faut sortir du registre émotionnel et revenir au droit. Le VTT est une pratique légitime. Elle rassemble 9 millions de personnes qui pratiquent le VTT de manière régulière ou occasionnelle. Il est compatible avec la préservation des milieux naturels. La cohabitation passe par la sensibilisation, le dialogue et le respect mutuel — jamais par la violence, ni par des interdictions arbitraires.
À la Mountain Bikers Foundation, nous continuerons à défendre ce droit, à sensibiliser les acteurs locaux, et à promouvoir une pratique responsable du VTT. Car la nature est un bien commun, et sa fréquentation ne doit pas rester un terrain de conflit.